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14 février 2006

Les collines et le vent


Des hauteurs au-dessus des plaines. Certains y rencontrent le souffle de l’esprit[1]. D’autres s’y installent pour s’y chercher eux-mêmes. J’y ai trouvé la tourmente du vent. J’étais à l’exacte image du ciel bas et lourdement chargé. Rien d’autre. Point d’espoir ni de regret. J’y ai entendu les mélopées des disparus qui reposent en ces lieux.
 

A Mousson[2], ceux de l’époque des templiers. Quelques pierres tombales moussues subsistent dans l’ancien château. Du sommet où s’élève le fort, on aperçoit la campagne environnante, comme écrasée par les nuages sombres. A Sainte Geneviève[3], ceux de 1914, au lieu-dit le Bois du Grand Couronné, avec son monument austère, ouvert sur les champs avoisinants. A Sion-Vaudémont[4], ceux des pèlerinages et de la colonne Barrès.

                          A toutes ces voix mêlées et devenues inintelligibles, le vent ajoute sa respiration forte, effaçant les bruits d’aujourd’hui, d’en bas. Annihilant ce vacarme des jours et des travaux sans âme de milliers de vies quotidiennes accumulées et entassées dans des espaces étroits et exigus que sont les usines, les bureaux, les villes et les autoroutes. Il me plaque au visage son ardente confusion, dans un instant de plénitude. Point d’impatience ni de nostalgie. Un lambeau d’éternité sans histoire. Présence du moment, totalement assumé dans la bourrasque mouillée d’une pluie fine. Instant sans cesse renouvelé, comme au temps des templiers, des poilus et des pèlerins. Mais surtout instants perçus, vécus. Révélation subtile de la vie reconduite à perpétuité.

Les collines sont propices à ces connaissances intuitives. Je ne m’en lasse pas. Que signifie tout le reste ? Ce raffut, cette frénésie qui emporte tout, qui fuit littéralement vers un avenir toujours plus fou, échevelé, accéléré et sans odeur, sans intérêt, aseptisé et uniforme, chloroformé. Ah ! Respirer ces bolées de vent sur des terres encore préservées, parce qu’il nous y invite, nous y bouscule sans nous accorder la moindre protection. La gifle du vent, gonflé de la respiration des ancêtres et de la nôtre, à cet instant. Rester seul au milieu de cet éclatement de vie, plus beau que le soleil, piétinant la mort à grands coups de bruissements et de violences aériennes. Rester seul et tout recevoir comme un don tellement attendu et enfin reçu, mains et poitrine ouvertes.

Rien ne signifie, dans ma vie, autre chose qu’un état sans histoire. Abruptement sans histoire. Loin des mille gourous et autres maîtres à penser de foire. Il n’y a rien à raconter d’autre – mais c’est là tout le vivant – à des béotiens qui se bousculent au Mc Do, au ciné à la mode, au stade, sur les autoroutes du sud. Agglutinés, moutons tellement collectivisés qu’ils en oublient d’apercevoir leur voisin… Ils s’engouffrent et se fondent dans ce troupeau bêlant, prenant soin de ne pas entendre le vacarme des autres.
 
Celui qui, par instant, écoute et entend, est atterré ou se suicide. Ou il boit. Ou il déconne. Belle merde que tout cela, orchestrée, ritualisée. Ce n’a jamais été la vie de qui respire, une vie sans histoire, protégée du voyeurisme, exempte d’exhibitionnisme, préservée de la tartuferie. C’est ma vie, jusqu’à ce que je décide de sauter dans les étoiles, s’il n’y a pas moyen d’y parvenir naturellement. En partant avec le vent, par exemple.
 
 
 
 


[1] Voir Maurice Barrès : «  La Colline Inspirée »  

[2] Village médiéval près de Pont-à-Mousson, en Meurthe et Moselle. Ruines d’un château au sommet de la colline et chapelle des templiers dans le village.

[3] Village dans la même région. Le Bois du Grand Couronné est un site de la première guerre mondiale, d’où les troupes de Castelnau rejetèrent les Allemands.

[4] En Meurthe et Moselle, Région de Vézelise. La colline inspirée que raconte Barrès..

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