Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

21 avril 2006

Jean Paul Sartre et Alain, philosophes ?

Encore une fois je m’interroge sur ce terme : philosophie. Je viens de relire Les carnets de la drôle de guerre du premier et les Propos sur le Bonheur du second et je ne suis pas certain d’avoir avancé d’un pouce dans ma démarche (perpétuelle) de compréhension de cette « matière » qui me semble toujours aussi… virtuelle ! Bien entendu, je n’attendais pas de ces relectures qu’elles me délivrassent de mon interrogation. Mais il s’agissait bien de rafraîchir mes réflexions sur ce vaste sujet et, autant que possible, de tenter de progresser un peu. Las, il n’en est rien. Depuis ma rencontre (très ancienne, mais chut !) avec Socrate, je n’ai jamais pu me résoudre à laisser une quelconque idée s’imposer à moi comme système, fut-il simple tentative d’explication. Tout au plus en sommes nous, tous, au questionnement. Et tous les raisonnements que j’ai lus et qui s’employaient à trouver une solution n’ont pas même réussi à poser seulement une équation susceptible d’aider à avancer. La philosophie reste conceptuelle, fût-elle enracinée dans d’habiles démonstrations ou existentielles ou terriennes. Je ne suis pas même certain que la phrase de Kant qui dit, en substance, que l’on n’apprend pas la philosophie, on apprend seulement à être philosophe soit de bon sens. Car comment être philosophe quand la philosophie n’existe pas en elle même. Je ne vais pas me faire que des amis !

¤¤¤

Après avoir suffisamment coupé les cheveux en quatre, je reviens aux deux livres. En ce qui concerne Jean Paul Sartre, nous plongeons dans quelques uns des carnets qu’il tenait pendant la guerre, là où il était affecté, principalement en Alsace, de Novembre 1939 à Mars 1940. Il y aborde indifféremment des sujets concernant cette guerre et la façon dont elle était menée ; la description des lieux et des caractères de ses voisins et collègues de chambrée ainsi que leurs relations à l’armée, à la guerre et aux populations locales ; des réflexions approfondies sur des thèmes philosophiques, où l’on voit poindre et se développer les thèses de l’Etre et le Néant entre autres ; des notes de lecture et des appréciations révélatrices sur divers écrivains, aidant à la compréhension de son évolution intellectuelle et de ses goûts littéraires ; naturellement, des notes plus intimes sur sa vie d’alors et quelques retours sur son enfance et ses origines, qui annoncent déjà Les mots et des évocations de ses années d’études ainsi que de ses amis comme Paul Nizan, par exemple.

Mais après cet aimable catalogue, je n’ai rien dit. Le rapport de Sartre à la guerre est confus et même ambigu, il écrit : « La guerre n’a jamais été plus insaisissable que ces jours-ci. Elle me manque, car enfin, si elle n’existe pas, qu’est-ce que je fous ici ? » ou bien : « Seuls ne méritent pas la guerre les hommes qui ont accepté d’être les martyrs de la paix » ou encore : « En refusant la guerre, j’aurais payé pour les autres. En l’acceptant, je paye aussi mais pour moi seul ». Il analyse aussi les conditions de cette « drôle de guerre », les arcanes politiques qui y ont mené et la guident. Dans le domaine de la pensée (il dit « Entière gratuité de ce carnet, comme de la pensée en général ») il se confronte soit à celle des autres comme Kierkegaard ou Heidegger et des écrivains comme Gide, Malraux, Proust et bien d’autres (il correspond avec Jean Paulhan) soit il approfondit des thèmes comme le néant, la volonté, l’avenir, la temporalité auxquels il consacre de longs développements qui surgissent après un ou deux paragraphes sur les mobilisés qu’il côtoie ou sur leur situation sociale, locale, leur moral, leurs tics. Il fait des allers et retours sur ses relations avec le Castor (Simone de Beauvoir) et d’autres êtres aimés. Il passe, selon les sujets, du sérieux à l’ironie, de la rigueur à la sympathie. Ses appréciations littéraires soit éclatent avec vigueur ou dévotion, soit étalent de profondes déceptions jusqu’à une extrême sévérité. Il se regarde lui-même parfois, sans complaisance (moquant par exemple sa jalousie ) et avec réticence par moment. D’ailleurs il annonce qu’il ne continuera pas son journal après la guerre, car il ne veut pas « être hanté [par lui-même] jusqu’à la fin de [ses] jours ». Ce que je trouve attachant, chez lui, dans ces carnets, c’est sa flexibilité, sa manière de sauter d’un sujet à l’autre sans aucune difficulté apparente, ainsi que la possibilité qu’il a de toujours écrire sur tout. Je n’irai pas plus loin, sauf à réécrire ce livre en lui portant préjudice. J’ajoute simplement que, pour moi, sa lecture ne peut être linéaire et continue mais qu’elle exige une disponibilité minimale pour entrer dans le jeu labyrinthique de l’auteur.

¤¤¤

Jean Paulhan a écrit à Jean Paul Sartre à propos d’Alain , à la suite d’une inculpation de ce dernier (à propos de sa signature sur un tract intitulé « Paix immédiate » qui invitait les armées à ne pas se battre) : « Le capitaine Marchat interroge Alain, fort poliment, chez lui: ‘ Ayant vu dans le manifeste le mot Paix, dit Alain, j’ai signé sans lire le reste’ ». Cette anecdote situe-t-elle véritablement Alain ? Naïveté ou ironie ? Dans ses « Propos sur le bonheur », il utilise un style fait de réserve et d’humour subtil. Des sortes de billets courts, ciselés au fil des jours, avec un réalisme sans fioritures et sans digressions inutiles. Au point qu’une impression d’inachevé ou d’insuffisance laisse le lecteur dans l’attente, parfois. Il dit d’ailleurs, dans la dédicace qu’il adresse à Madame Morre-Lambelin : « Je suppose que cette manière de faire n’est pas sans risque ; car le lecteur ne considère pas ce que l’auteur a voulu. » La raison de cette méthode semble résider dans une volonté de provocation, d’invite à la réflexion. Il aborde quatre vingt treize domaines (qu’il appelle « morceaux ») qu’il traite en une à deux pages au maximum, exerçant un esprit de rigueur teinté de poésie, par moment (ainsi le morceau « Regarde au loin » sur l’exercice de la pensée et la libération du corps). Il s’agit là d’une œuvre de moraliste, avant tout, et il use d’une pédagogie simple. Ces courts textes ont toutes les apparences de la sagesse, mais qu’est-ce que la sagesse ? Je ne détaillerai pas les sujets abordés, Alain passant allègrement de thèmes tels que « De l’imagination » à « Le couple », après avoir évoqué « Vitesse », « Gymnastique », « Ne pas désespérer » et « Diogène ». On comprendra qu’il n’y a pas là matière à résumer. Ici non plus, une lecture continue ne satisferait pas, on s’en doute. Il ne s’agit pas d’un traité sur la morale mais d’un livre de petites morales. A chacun d’y trouver ses réponses, mais sans doute pas ‘une’ réponse.