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03 janvier 2007

Le réveillon du Clown amnésique

Il s’est couché avant minuit et il s’est endormi. Cela faisait longtemps qu’il ne dormait presque plus, sauf certains soirs à cause de trop longues insomnies accumulées, sous la pluie et dans le froid. Il n’eut donc pas à passer le cap du 31 au premier. Il avait été soulagé de pouvoir se tenir à l’écart de toutes ces ripailles, beuveries, danses, coucheries et bêtises pratiquées en l’honneur d’un nouvel an tout pareil au précédent… Avant son sommeil, il était sûr de deux choses : l’affection de son garçon, qui lui avait téléphoné et l’amitié forte de celui qui lui a offert un toit pour quelques jours. Il a vécu les fêtes en ermite, grâce à lui.
Quatre heures treize. Il s’éveille. Depuis un certain temps déjà, qu’il dorme ou seulement somnole, il reprend conscience entre quatre heures dix et quatre heures vingt, sans en connaître les raisons. A l’extérieur, un vent violent fait gémir et craquer les arbres du boqueteau tout à côté et rabat la pluie sur les volets, en un martèlement sourd et crépitant à la fois. Il a soif. Il se lève. A la table de la cuisine, il se sert un jus d’orange. Il ne pense à rien. La colère du vent le tire de sa torpeur. Il essaie de voir au dehors par la porte-fenêtre. Mais même en collant son front contre la vitre froide, il ne peut que deviner le balancement de l’arbre nu, dans le jardin, juste au-dessous et n’aperçoit que quelques lumières tremblotantes du village le plus proche, dans la vallée.
Il se souvient. Non pas des jours passés récents. Non.
Il revit son insouciance, à l’âge de treize ans, dans les champs, près de Saint-Claude, dans le Jura. C’est là qu’il avait lu Le Lion de Joseph Kessel. Un jour il avait défié un taureau qui devint vite méchant, lui sembla-t-il. Il prit peur et détala et se jeta sans précaution par-dessus la clôture de barbelés, au risque de se rompre le cou dans le fossé, deux mètres plus bas.
Il se remémore ses premiers enchantements devant la grandeur silencieuse et majestueuse des montagnes, lorsqu’il avait campé, à quinze ans, dans le village du vieux Tignes, non loin du barrage fameux.
Il retrouve dans sa mémoire, ses longues balades solitaires au bord de l’Océan, en Vendée, où l’on pouvait alors marcher sur les plages pendant des kilomètres sans rencontrer ni âme qui vive ni obstacle. Son retour à la montagne, à Grenoble, pendant six années. La Combe apaisante de l’Ain et ses étangs. Les montagnes rondes et les Puys dans le Massif Central.
Il revoyait tout cela en images fidèles, ainsi que les moments heureux de sa vie, comme la naissance de son fils, à laquelle il a pu assister, sa tension quand il vit apparaître la petite tête déjà chevelue ; ce fut le seul vertige de bonheur de toute son existence, et aussi la venue au monde de ses petits enfants. Les moments tristes, comme le départ vers un ailleurs inconnu de son père âgé de cinquante cinq ans, homme tué sans doute par son trop grand dévouement aux autres ( ce serait une longue histoire…) ; celui de sa maman dont il avait pu baiser le front et caresser les cheveux blancs la veille de son décès, il y a quelques années à peine…
Puis il se retrouve en 2007. Il ne se souvient de rien d’autre. Des années perdues… totalement ignorées désormais. Une véritable amnésie. Il a beau essayer d’explorer cette période, il n’y voit que champ de ruines, d’où émergent tout de même quelques visages de jeunes filles et jeunes gens qui chantent, dansent et font de la musique. Il se dit que peut-être pendant ce temps là, il a vécu une autre vie, dans une autre dimension. Que, comme un ange déchu, il s’est approché trop près d’un feu qui lui a brûlé les ailes. Il paraît qu’une amnésie, totale ou partielle, survient après un choc. Quel choc ? Il ne sait pas, il ne sait plus. Il sait seulement qu’il vit maintenant la même vie simple et nue que celle qu’il vivait avant ces années là… et que ne changera en rien l’année nouvelle.

Commentaires

Tes textes me prennent à la gorge. J'espère qu'ils ne sont pas autobiographiques... Ce serait si triste et puis, non, ce serait la vie, ou celle des gens comme nous, qui ne surfent pas sur le bonheur... mais qui ont eu quand même leur part.
Quoi qu'il en soit, bonne année Rony. Profite de ce qui est beau, laisse le reste...
On a aussi boudé les réveillons cette année, en iconoclastes qui s'assument !
Merci d'être mon fidèle lecteur.
PS : mes projets se précisent, je t'informerai, bien sûr.

Écrit par : claudine | 04 janvier 2007

Bonne année Rony

Écrit par : khate | 05 janvier 2007

S'il se souvient de son adolescence, c'est parce que la vie était devant lui, comme aujourd'hui.
S'il se souveint de la mort de son père, c'est qu'il accepte de voir la vérité en face. Notre seul destin assuré : la mort.
Avant, à nous de le remplir de petits boheurs propres à chacun et non en dépendant des autres.

Petite citation pour les étrennes :
"Le navire amour navigue au plus près entre dépendance et attachement, et vent arrière entre liberté et solitude." Jacques Salomé in [Pensées tendres à respirer au quotidien]

Le vent arrière, c'est confortable, le bateau roule sur la longue houle, bercé comme dans la matrice. Au près le bateau tape, résonne de toutes ses membrures.

Alors bon vent pour cette année 2007, Rony.

Petit bonheur : vous relire.

Écrit par : Sar@h | 05 janvier 2007

amitiés (si je peux me permettre)
j'aime vos souvenirs d'enfance, déjà solitaire et profond...

Écrit par : Fleur | 06 janvier 2007

Il n'y a aucun commentaire à faire. Sinon signaler qu'on a lu...

Écrit par : koan | 07 janvier 2007

Oublier les mauvais souvenirs, faire revivre les bons, pour continuer à se dire que les moments de bonheur peuvent encore exister au présent... Que cette année les voit revivre à nouveau dans ta vie...

Écrit par : sdf de luxe | 08 janvier 2007

il est là et bien là, cette nouvelle année commence avec lui, elle devra compter avec ses ressources infinies qu'il ne voit pas encore mais qui lui permettront de relever la tête et de voir devant avec une énergie peut-être écornée mais l'énergie de ceux qui n'ont plus rien à perdre et qui veulent encore goûter ce que la vie peut leur offrir... il est debout, il est vivant, amnésique peut-être mais riche de ses souvenirs d'avant...

Écrit par : holly | 12 janvier 2007

Les commentaires sont fermés.