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27 août 2006

Demi sommeil

Le samedi soir, la station est peu fréquentée. La vaste plate-forme est presque vide, seuls quelques camions sont rangés, au fond, près de la sortie. La fin de semaine, ils ne circulent pas et beaucoup de chauffeurs se sont arrangés pour rentrer dans leur pays. Presque le désert, ici. D’autant qu’une brume épaisse enveloppe tout le secteur, au point que l’éclairage des bâtiments et des pompes ressemble à un fourmillement de particules dorées mais opaques. Pas d’arbre. Sauf de l’autre côté, derrière les poids lourds. On y a installé quelques tables et bancs en pierre, inutiles à cette heure et par ce temps. Il ne les voit pas, mais il les devine, tellement il est habitué à venir dormir ici.

Il est installé dans sa voiture, une couverture sur les genoux, le dossier de son siège légèrement incliné. Il fait froid. Le moteur tourne pour permettre un peu de chauffage. Il a éteint la radio. Seulement le ronronnement des véhicules rares qui passent sur l’autoroute. L’odeur d’asphalte mouillé efface presque celles du pétrole et du gaz.. L’humidité perle aux glaces de son automobile, l’enfermant dans une sorte de monde ouaté. Il arrête le moteur. Désir de sommeil. Il ferme les yeux.

Tout le monde est là, cadres femmes et hommes autour de la direction, sous la lumière crue des néons. De son immense tableau pendu au mur, le fondateur de la société les observe, impavide. Débats courtois et animés. On met en place une promotion. Chacune et chacun y va de son idée. Le patron note délicatement sur un cahier à spirales, avec son stylo doré.

Un véhicule stationne un instant à côté de lui et redémarre.

Il n’en a revu aucun, depuis qu’il a été remercié. Plus d’invitations, plus de visites. D’ailleurs cela s était passé en douceur, presque en catimini. Mais malgré tout, ils devaient savoir, tous. Lui n’a plus jamais remis les pieds dans ce magasin. Il a même quitté la région, quelques années plus tard. Le froid humide s’intensifie. Il sort de son demi rêve. Met en route le moteur et le chauffage. Il lui semble que le brouillard s’est alourdi. Il tourne le bouton de la radio… cherche une station. Rien ne lui plaît. Il abandonne. Ses jambes lui font mal, il les allonge au mieux. Quand la chaleur est suffisante, il fait taire le moteur.

Il imagine une maison, sur l’océan, en Vendée. Il y a vécu assez longtemps. Une maison comme celle de Clémenceau, regardant les flots et les cieux toujours changeants, sous le soleil, sous les nuages ou dans la bourrasque. Il n’est en rien un admirateur du Tigre, mais il a aimé la simplicité du lieu à Saint Vincent sur Jard.. Le petit jardin et la tablette pliable de la fenêtre où il s’installait pour écrire… Sorti de cette évocation, il s’en demanda la raison. La solitude, la liberté par le vent du large, peut-être ? Ses pensées se mêlaient, informes, insolites. Il s’endormait. La nuit se fit plus profonde. Il n’entendit plus rien.

Demain matin il s’éveillerait engourdi de froid, irait prendre un ou deux cafés à la station, avec quelques croissants emballés dans des boîtes plastiques, le minimum pour tenir le coup jusqu’au soir.

Avril 2002