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11 juin 2007

Insomnie

Il ne dormait pas. 03 heures 40. Aucune impatience, pourtant. C’était son lot. Certaines nuits, il ne pouvait dormir. Peut-être, pensait-il, ne devait-il pas dormir. Il devait veiller. Rester en état de veille. Lui parvenaient du dehors quelques ronronnements de moteurs attardés ou perdus dans la nuit. Puis un étonnant silence. Il demeurait assis, à côté de sa bibliothèque dont il tentait mentalement de faire l’inventaire. Il lui manquait des livres. Lorsqu’il s’était installé ici, il avait cherché à récupérer ses livres qu’il avait éparpillés chez l’un et chez l’autre, poussé par une triste nécessité : il avait perdu son domicile et était devenu chemineau, par la force des choses que de doctes savants ( ?) nomment les accidents de la vie… Cela le faisait bien rire, aujourd’hui. Les livres donc. Une série d’études sur les écrivains du vingtième siècle a disparu. Il le regrettait, non pour leur contenu, un peu trop succinct, mais parce qu’ils représentaient la matérialisation de ses premières acquisitions indépendantes, les premières manifestations de son autonomie. Un premier envol, en quelque sorte. D’autres ouvrages encore, aussi succincts, qui avaient trait aux grandes religions passées et actuelles. Il se souvenait de cette soif de savoir, pourtant à peine apaisée aujourd’hui. Mais il y mêlait plus de réflexion désormais, comme s’il tenait à contenir cette soif dans des limites raisonnables, selon son esprit. Il avait appris, à force de vivre, à force de se colleter avec les autres et les choses, il avait appris, donc, le doute. Ce n’était pas un mal et cela lui permettait de garder l’esprit libre. Ceci, il l’avait appris sur le tas, parfois en souffrant beaucoup, parfois en luttant beaucoup. Mais le prix à payer n’est jamais élevé quand on peut, au final, demeurer soi-même, sans avoir à rougir de rien.

04 heures 09. Premier café du jour. Il se demandait ce que serait ce jour, justement, commencé si tôt et presque avec plaisir. Le plaisir d’être seul, à veiller et penser sans barrières, sans importuns. Profiter de ce plaisir pour divaguer à loisir, pourquoi pas, et rêver, peut-être, bien qu’il eût oublié depuis longtemps ce que rêver veut dire. Quel temps va-il faire ce jour d’hui, coincé entre les rafales d’orages et les éclatements de soleil et de ciel bleu ? Quelles rencontres vont surgir, lier pour un instant des êtres avec d’autres, par la seule loi du hasard ? Irait-il boire un ou deux cafés, à « l’Appartement », bistrot où se mêlent selon un mystérieux mouvement bohèmes et intellos sur le retour, jeunes affamés de nouveauté et de reconnaissance, paumés et parfois pauvres hères, et enfin, à son image, silencieux et curieux des autres ? Se réfugierait-ils dans un vieux bureau sentant le tabac et la souffrance humaine, à lui prêté par une association d’action sociale de premier secours, où il essayait d’agir le plus souvent possible ? Question de chaque matin : de quoi sera faite cette journée ? Question tempérée par la douceur de pouvoir s’avouer qu’aujourd’hui encore, il vit ; ce matin encore il ouvre les yeux, une fois de plus, sur la vie, sur la renaissance du monde. Sur sa propre renaissance… L’insomnie ne le gênait pas cette fois. Elle avait un fort parfum d’existence réelle. Cela lui suffisait, pour le moment.