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06 avril 2006

Houellebecq et les particules

Ce billet est pour moi un exercice inhabituel. Parler d’un livre me fut toujours plus facile dans une conversation, un échange. Mais, comme j’ai promis, je vais oser. Il ne s’agira cependant que d’exprimer ce que j’en ai reçu et compris. Ce que j’ai aimé ou non. En aucun cas, même si cela y ressemble, je ne me livrerai à une « critique littéraire ». Je ne m’accorde pas le droit de conseiller ou déconseiller et je n'éliminerai aucun de mes sentiments, aucunes de mes réactions, par simple souci de franchise.
 
Les particules élémentaires de Michel Houellebecq  m’ont occupé plusieurs heures, car je me suis astreint à le lire minutieusement, la renommée de l’auteur et le marketing tonitruant de sa maison d’édition m’ayant, je l’ai déjà dit, disposé négativement à son égard. C’est un bien mauvais départ, je l’admets volontiers. Le titre est en lui-même original. Cette originalité est due à deux causes sans lien apparent. La première indique que le roman s’appuie sur une sorte de démarche scientifique de l’un des héros ; la seconde se veut accrocheuse, du simple fait de la proximité du titre et de la catégorie (roman), à première vue antagonistes Cela fait interrogation. On cherche donc à en connaître la raison  et le piège se referme par l’achat du bouquin !
 
Comme souvent, j’ai d’abord lu la quatrième de couverture. Elle est un extrait d’un article de Jorge Semprun dans le JDD. Cet écrivain espagnol devrait, pour certains, être un gage de qualité, sinon une caution. Je me méfie de ces « appréciations » dont on devine, quoiqu’on pense, un arrière fond mercantile, hélas. Le temps n’est plus où l’esprit loue l’esprit. A quoi on devine que la créativité, la vraie, en a pris un sérieux coup avec ce foutu principe avant tout commercial de rentabilité, autour duquel tournent désormais les papiers de critiques serviles qui prêtent leurs plumes aux luttes entre gros groupes d’éditions, auxquelles participent joyeusement les jurys des prix littéraires de renom. C’est ainsi, c’est facilement imaginable, que sans doute bien des œuvres demeurent dans les tiroirs ou sont pilonnées après une faillite lors d’un quelconque top 50 qui n’a plus rien de littéraire.
 
Pour en revenir à notre sujet  je suivrai commodément (et par facilité, je l’avoue) la description sinon dithyrambique du moins laudative de monsieur Semprun. « La vie de la seconde moitié du XXème siècle […] Houellebecq en reconstitue la trame avec une belle énergie narrative, avec un sens très sûr de la progression et de la digression, avec un art consommé de l’incrustation de brèves données historiques ou sociologiques dans le déroulement de péripéties individuelles… » Muni de ce guide je partis confiant. Deuxième page du roman, Michel, l’un des deux personnages principaux, s’interroge sur la lenteur d’une collègue à démarrer sa voiture et l’imagine en train de se masturber… énergie narrative ou digression ? Voilà qui augmente mon appréhension à devoir tenir pendant 394 pages. Je la surmonte néanmoins, me souvenant à point nommé avoir lu les romans fleuves d’écrivains de la première partie de XXème siècle. La possibilité d’un lien…
 
Il s’agit, en fait, de l’histoire de deux frères, utérins, depuis leur enfance jusqu’aux environs de 2005… Pour commencer, l’auteur semble peiner à tracer leur généalogie dont une partie est commune, il « digresse » trop, à mon goût, dans les méandres compliqués des choix des géniteurs et de leurs ancêtres. Au point qu’il se sent tenu de les rappeler dans l’évocation de leur vie contemporaine de leurs enfants. Cette lourdeur rend « l’énergie narrative » moins « remarquable ». Ceci dit, les trajectoires des demis frères sont parfaitement tracées. Michel, le scientifique, l’homme d’étude qui deviendra une sorte de philosophe et de fondateur d’une humanité nouvelle (je n’ose le mot « idéologue » qui déplaît trop à Michel Houellebecq) :  «… sans avoir connu l’amour lui même […] il avait pu se rendre compte que l’amour, d’une certaine manière, et par des modalités encore inconnues, pouvait avoir lieu »
[1]. Bruno, un être insatisfait de son sort, frustré sexuellement en permanence, glauque et onaniste, à la recherche de l’être féminin le plus jeune possible, tous les autres lui paraissant aussi usés et décadents que lui. Il ne leur pardonne pas plus qu’à lui leur vieillissement… Ces deux vies baignent dans des environnements assez peu précis, centres de recherches pour Michel, lieux d’enseignements, camps pseudos soixante-huitards pour Bruno, pourvu que la sexualité eût une occasion minimale d’exulter. Je ne parlerai pas des épisodes divers. Seul un personnage semble traverser ces vies avec une certaine tendresse de l’auteur, Annabelle, que Michel « aurait pu » aimer.
 
Je ne sais quoi penser du style. Rien ne m’a ému, ni dans les descriptions, ni dans les dialogues (souvent de longs monologues accolés), ni dans les sentiments. Ajouterai-je à tout cela que l’objectif très apparent de Michel Houellebecq étant d’amener le lecteur à une explication des sentiments, des idées et des situations sociales par le biais de réactions du type de celles appuyées, entre autres, sur la physique quantique confère raideur et froideur au récit ? (Quand je pense que je me définis comme électron libre, cela me fait sourire !!)  Ses critiques des mouvements hippies, ses analyses des sectes satanistes et des sérial killers ne parviennent pas à mettre le feu à  cette atmosphère tiède. Quant aux « brèves données historiques », je viens de vous les citer. On s’aperçoit que tout se passe dans un certain milieu « bulle », abstraction faite de toute autre réalité sociale ou « géopolitique ». On s’aperçoit aussi que le sida semble ne pas exister. Ajoutons à cela un certain racisme anti-noir de la part de Bruno, des évocations d’Aldous Huxley, de son frère Julian, d'Auguste Comte, des éreintements de Lacan, Foucault, Derrida et Deleuze, tout ceci devant sans doute justifier cette fameuse nouvelle humanité issue des rêveries de Michel Djerzinski.
 
Pour finir, l’histoire est racontée par un des membres de cette nouvelle humanité en gestation, « nouvelle espèce, asexuée et immortelle, ayant dépassé l’individualité, la séparation et le devenir »
[2]. Que pensez vous de cette phrase :  «  […] le plus grand mérite de Djerzinski n’est pas d’avoir su dépasser le concept de liberté individuelle (car ce concept était déjà largement dévalué à son époque[…]) mais d’avoir su, par le biais d’interprétations il est vrai un peu hasardeuses des postulats de la mécanique quantique, restaurer les conditions de possibilité de l’amour. » ?[3]
 
Au final, je ne suis pas de l’avis de Monsieur Jorge Semprun. Ni de celui de Michel Houellebecq.
 
 
 


[1] Les particules élémentaires, page 377, Flammarion 1998. (C’est moi qui souligne.) 

[2] Idem, page 385.

[3] Idem page 377.