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25 avril 2006

Que pensez-vous de la France (suite)

Lorsque je posais cette question, dans ma note du 28 mars, il s’agissait bien d’une courte mais réelle explosion de colère, comme l’a décelée Claudine. Je n’ai pas la facilité, comme elle, de m’extraire de ces débats, sans doute parce que je ne parviens pas à accepter l’auto flagellation des uns, la suffisance et le dédain des autres, tous doctes collets montés dont l’affectation cache à peine leur besoin d’abaisser les populations et leur propre pays pour mieux assouvir leur soif de pouvoir ou de renommée ; pour se prouver à eux-mêmes leurs soi disant théories incontournables, bref, pour mieux être vus. C’est là leur meilleur moyen d’exister, semble-t-il. Mais j’avoue que j’aimerais souvent comme Claudine « m’assumer hors du champ des grands débats et des grandes causes ».
 
J’ai conçu cette nouvelle note pour deux raisons. La première s’explique par mon retard à répondre à chacune et chacun, à cause d’une indisponibilité temporaire. La seconde parce que tous les commentaires, sans exception, sont tellement denses qu’ils forcent à la réflexion. En effet je reconnais que mes vues, mes perceptions individuelles ont un caractère péremptoire et qu’elles ont sans aucun doute besoin sinon de corrections (et pourquoi pas, j’y suis prêt) du moins d’être plus approfondies et mieux formulées. C’est pourquoi je vous remercie toutes et tous, car en plus, et grâce à vous, je m’adonne à cet exercice avec un plaisir non dissimulé.
 

La première impression, nette, qui se dégage du débat, est la tonalité affective de chaque note et commentaire de ce chapitre. Personne n’aime les reproches inconsidérés formulés contre notre pays et Denis (que je salue et remercie pour sa visite) vitupère l’inanité du langage d’échec des tenants du pouvoir. Il ne s’agit pas que d’une simple apparence même lorsque s’expriment des regrets de percevoir que ce pays devient une puissance moyenne, comme le dit Joanny. « Existe-t-il vraiment une France ? » demande Fabrice exprimant là un fort mais triste doute, et dans le même temps il appelle à se souvenir d’une de ses richesses : sa diversité. Pour Mike elle a « pris du retard » au regard des pays nordiques, plus particulièrement, ce qu’il assortit d’un espoir d’un « vent nouveau sur le sol français ». Quand Fred ironise sur notre « beau pays », il ne manque pas d’ajouter « Tout cela est utopique. Tout cela est possible du jour au lendemain ». Michoko ajoute qu’elle pense « qu’en effet [ la France] a considérablement perdu de son aura » et dresse la liste des constats qu’elle regrette et ajoute aussitôt : « la liste des choses que j’aime est au moins aussi fournie ». Doute, regrets, ironie, espoir… ces mots sont, comme ceux de Vilaine Fille quand elle souhaite la fraternité, des mots d’amour.
Et, Dieu merci, personne ne tombe dans le sombre « charabia » plein de mauvaises odeurs qu’emploient les clowns pathétiques « nationaux » de toutes tendances qui tentent de jeter la perturbation ici et là. Laissons les macérer dans l’enfer qu’ils se sont fabriqué. Mais restons vigilants.
 
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Je ne sais pas si réellement les Français « souffrent de prendre conscience que leur grand pays influent de naguère (…) n’est plus qu’une puissance moyenne ». Cela, c’est le « leitmotiv » de tous ces fameux « experts » en « logue » qui sévissent à la surface du magma médiatique. Il semblerait plutôt qu’ils souffrent qu’ « on » ne cesse de le leur répéter en les accusant d’en être responsables, parce que rigides, nonistes, conservateurs et autres balivernes étudiées pour les mener docilement à la contrition et à l’acceptation de la pénitence. Quand « on » veut faire piquer son chien, « on » dit qu’il est malade. Je crois plutôt à une résistance des Français contre cette tentative d’asservissement qu’ils refusent, à juste raison. Et quand je parle des Français, je parle de tous les Français. Il n’y a pas les vrais d’un côté et les moins vrais d’un autre. Et pan, une claque contre les mauvaises odeurs ! Dans ce pays, les Français sont partout, dans les campagnes, les villes, les banlieues, les lycées, les usines, les magasins, les bureaux, les universités, les « grandes » écoles, à la poste, à la SNCF, dans les CFA, dans les comités et associations de chômeurs, dans la précarité comme dans l’opulence, dans la religion qu’ils veulent mais d’abord dans la laïcité (la vraie, pas un ersatz fumeux), quelle que soit leur couleur de peau ou de cœur. Oui, messieudames… ce sont tous des Français.
 
La réalité quotidienne n’est pas médiatique et pour beaucoup, ils n’ont que faire d’une prétendue image qu’ils donneraient d’eux-mêmes ailleurs. L’apparence ne nourrit pas son homme et surtout, elle ne dit pas qui il est. Par contre leur soif de vivre au lieu de se contenter d’exister est bien réelle. Et c’est le principal, n’en déplaise aux « théoriciens » patentés. Et cette soif crée des exigences qui se situent à mille lieues des chemins que voudraient leur tracer cette fameuse théorie de « la main invisible » du marché. « On » nous prend carrément pour des chèvres. Et bien, bêlons ! Mais ne suivons pas Panurge, comme l’ont fait ses moutons. C’est ce qu’ils disent, et cela, forcément, n’est pas plaisant à entendre. D’ailleurs, est-ce que, véritablement, l’image que nous renvoient les autres est enviable ? Voyons  l’Allemagne politiquement distendue, l’Italie sans aucun progrès économique et en recul social, pratiquement éclatée, la Pologne avec 18 % de chômage et ses pauvres sans couverture sociale, alors qu’elle a tout accepté du libéralisme pour entrer dans l’Europe, l’Angleterre avec son record du nombre de pauvres malgré le « recul » du chômage, avec aussi ses chemins de fer en très mauvais état et son appareil de santé dépassé et inefficace, ses enfants au travail… faut-il continuer ? Mais tout cela est du non-dit, bien sûr. Quant-à ceux qu’on suggère comme « modèles », sait-on qu’ils sont plus soumis à l’impôt qu’en France et que la vie y est notoirement plus chère ? Non-dit encore. S’il fallait en fabriquer un catalogue illustré, il faudrait y faire figurer de tristes photographies en noir et blanc, pour éviter de mettre trop en évidence de bien criantes différences, comme celles aperçues à La Nouvelle Orléans. Foin de cette idée de l’image, soyons nous-mêmes d’abord. Pour sortir de cette théâtrale attitude de ceux qui feignent de passer leur temps à regarder ceux qui nous regardent (qui sont de même obédience  et utilisent tous la même propagande), regardons-nous là où nous sommes. Simplement.
 
Nous nous efforçons sans cesse à nous trouver un tronc commun qui justifierait notre existence et notre « réalité » actuelle. Dans le même temps, fort curieusement et contradictoirement, nous restons attachés à des cultures ancestrales et régionales qui nous distinguent les uns des autres. Cette dualité jacobine et régionale nous est propre et fait une partie de notre originalité. Le jacobinisme qu’on attribue trop facilement à la révolution est en vérité un héritage des monarchies qui ont toujours cherché à agrandir leur royaume et à l’unifier. Par exemple, le grossier « grand » connétable Du Guesclin s’employait, déjà, à rattacher des territoires (et les soumettre) à la couronne. Et les monarques unifiaient par la force et l’uniformisation. C’est pourquoi la résistance à toute uniformisation nous caractérise. On prétend qu’aujourd’hui cette résistance n’est plus compréhensible de par son archaïsme. C’est oublier (ou cacher) un peu vite que l’uniformisation est encore plus prégnante et dangereuse aujourd’hui, ne serait-ce que dans les domaines économiques et culturels. Mais, ô ironie, les mêmes s’emploient à utiliser ces caractéristiques culturelles pour vanter le pays, dans le tourisme et l’art, particulièrement. Ce n’est pas la moindre de nos contradictions. Mais qu’importe, si elles sont créatives et porteuses d’espoir, c’est à dire à l’abri des « hurluberlus en robe blanche » et des manipulateurs. La vraie richesse c’est les rencontres de ces cultures et l’on comprend mieux, dès lors, la résistance actuelle à la formalisation, la modélisation comme aiment à le dire les « experts en logue » et les théoriciens de l’économisme, ce qui n’est pas proprement français, contrairement à ce que prétend le discours officiel.
 
Et nous n’en avons pas terminé avec la rencontre des cultures. Sachant que parmi nos ancêtres les Gaulois se sont glissés sûrement des ancêtres romains, souvenons-nous que notre terre a accueilli des populations d’Europe et d’autres continents comme l’Afrique et l’Asie. Pourquoi s’en plaindre ? Ne sommes nous pas citoyens d’une unique planète ? Encore un enrichissement, pourvu que les uns et les autres sachent s’accepter, se parler et se comprendre. Sur ce point, hélas, beaucoup reste à faire. Raison de plus pour résister à cette fameuse uniformisation qui nous réduirait tous à un ennuyeux clonage culturel d’où rien ne pourrait plus jamais naître que des reproductions fidèles de « riens » organisés, obéissants, fatalistes, télécommandés et insipides. Ce sujet demanderait une note à lui seul.
 
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D’où nous vient donc cette apparente morosité qui serait la face visible de notre déclin français ? Plusieurs causes concourent à donner crédit à cette perception fataliste (que je trouve injustifiée, cela va de soi) et participent à assombrir le climat. La première, qui n’est pas la moindre, c’est le rabâchage continu de cette contre vérité par ceux là mêmes qui devraient plutôt appeler et encourager toutes les énergies. Or, leur véritable dessein est d’instiller dans la population un fatalisme suffisant pour leur permettre d’appliquer ou de faire appliquer leurs propres recettes dont la raison ne veut pas. Je nomme ici celles et ceux que l’on qualifie communément et improprement les « élites ». Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Quel est leur credo ?  Il y aurait matière, là aussi, à une note entière ! Faut-il les nommer ? Les Frantz Olivier Giesbert, Jacques Julliard, Serge July, Christine Ockrent et autres affiliés aux réseaux multimédias qu’ils occupent sans cesse, sans parler des Alain Duhamel, Jean Marc Sylvestre, Michel Field, Edwy Plenel ; sans oublier les spécialistes en « …isme » ou en « …logie », tel Nicolas Baverez, Alain Minc, Alain-Gérard Slama, Elie Cohen, Marcel Gauchet, Jacques Marseille, Béatrice Majnoni d’Intignano etc…  Tous ces consciencieux personnages s’astreignent, jour après jour, à communiquer leur morgue, leur deuil impossible (parce que blessés dans leur amour propre) du TCE, leur haine viscérale du pauvre – qui ne sait que se faire assister – qu’il faut « remettre au travail »,  leurs recettes de « bonnes pratiques » libérales et de « gouvernance » financière. Ils sont aidés en cela par des chaînes télévisuelles parfaitement adaptées à leur entreprise de destruction du moral des Français telles TF1 et LCI, dont on sait à qui elles appartiennent, mais aussi, hélas, Arte et France 2. Je m’arrêterai là dans cette évocation qui, malheureusement, n’est pas exhaustive, loin de là.
 
La deuxième cause est l’attitude, les postures et impostures des politiciens. Beaucoup à dire ici. Je résumerai en soulignant que depuis le 21 Avril 2002, mais le mal existait bien avant, aucun n’a pris en compte – jamais – les messages forts envoyés par les populations. Jospin s’en était déjà moqué quand il gouvernait. Il l’a payé fort cher. Quand Jacques Chirac fut réélu, il n’a pas entendu ceux qui l’avaient porté à sa seconde présidence. Il s’est comporté comme un nouveau Napoléon III plébiscité et s’est adjoint les services de deux ducs de Morny successifs pourfendeurs de la justice sociale et prédateurs des droits de chacun au travail choisi et à une possibilité de se construire une vie stable. D’où cette impression d’insatisfaction permanente, cette impression d’avoir été mis en attente.
 
D’autres causes encore : celles, économiques, qui voient les capitaux aller s’investir ailleurs ; celles sociales qui, en conséquence des précédentes, laissent bien des foyers dans les difficultés ; culturelles, où ne semblent officiellement exister qu’une sorte de télévision, qu’un type de « stars », que des rêves souvent déçus de starisation, qu’une seule littérature de gare, qu’une seule « philosophie » de combats anachroniques…

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Dieu merci, tout ce qui précède n’est que ce que l’on dit ou que ce que l’on voit. Et après ? Cette France est un beau pays. Demandez donc à nos amis anglais qui viennent s’y établir. Et à nos amis belges et allemands, aussi, qui trouvent à vivre en France la « doulce » vie et… le moyen de payer moins d’impôts (tiens donc !). Malgré l’auto flagellation des « élites » (et parfois nous-mêmes aussi, il faut bien l’avouer) nous aimons y vivre. Quel est cette habitude de se « mesurer » aux autres dans quelque domaine que ce soit ? Qui définit les critères de ces classements d’universités par exemple ? Et dans ce cas là, qu’est-ce que peut bien signifier la notoriété ? Nos universitaires, sont, je crois, recherchés pour leur savoir et leur valeur. De qui devraient-ils recevoir des leçons ? Ce qui ne plaît pas, c’est cette résistance « naturelle » et passionnée à la tentative d’être réduit à la reproduction d’un « modèle » qui n’est pas le nôtre. Et de plus, qu’est-ce donc ce travers de langage qu’est devenu ce mot « modèle » ? La France serait malade ? Mais de quoi ? Quels symptômes seraient si différents de ceux qui contaminent l’Angleterre, les USA, l’Italie, la Grèce… etc ? Pour ma part, ce qui me laisse un goût de cendre, ce sont ces reculades (travail des enfants y compris de nuit, troubles de l’ordre public social délibérés sous forme de lois (sic)), c’est cette ambiance politique délétère qui tente de détourner l’opinion des vrais problèmes en mettant en avant des théories fascisantes et ultra droitières fort dangereuses. Restons en là. Au risque de me répéter, l’arrogance n’est pas un mal français, sinon qu’en est-il de l’arrogance anglaise ou américaine ? Correctif à tout cela : l’arrogance perçue est celle de ceux-là seuls qui peuvent s’exprimer, souvent « au nom de… » et non celle d’une population. Les maux qu’on attribue à notre pays sont les mêmes qu’ailleurs : disparition de la paysannerie, du monde ouvrier. Ils sont la conséquence de pratiques partout suivies selon des principes que j’exècre, ceux de « l’économisme », et cette maladie n’est pas particulière à la France. 
 

Pour finir, comme le dit Michoko, on peut faire une liste tout aussi longue de ce que l’on aime dans notre pays. Et donc, outre le plaisir d’y vivre, celui d’y lutter pour y améliorer encore sa qualité de vie, pour tous cette fois, est des plus enthousiasmant. Mais cette lutte, ou ce combat, ou cette résistance, on emploiera le mot qu’on voudra, sont les mêmes que partout sur cette planète qu’il faut soigner d’urgence.