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14 avril 2007

Lettre à l'Autre

Cher l’Autre,

La censure de ton monde risque de ne pas te transmettre cette lettre, voilà pourquoi je te surnomme l’Autre, comptant sur le « hasard » (qui soit disant n’est plus possible dans ce dit monde) pour que tu aies l’occasion de la lire.

Il y a quelque temps déjà, tu m’as demandé de penser à t’écrire. Je ne sais pas pourquoi. D’après ce que j’ai compris de toi, tu n’as besoin de rien, tu vis tranquille et confortablement. Tu ne ressens ni douleur ni souffrance. Tu ne serais que sourire et bien-être. Alors quoi ? Que veux-tu savoir de notre vie à nous ? Elle se déroule normalement, je crois, bien que pour toi la « normalité » ne soit pas identique. Je veux dire que la tienne est différente de la nôtre. De là à ne pas pouvoir nous comprendre, il n’y a pas loin.

Tu dis que chez toi, il n’y a plus ni pauvreté ni misère. On les aurait éradiqués. Mais d’après ce que j’ai compris, on a plutôt fait disparaître les pauvres et les miséreux. Je n’ai pas bien saisi par quels moyens et je ne suis pas sûr de vouloir les connaître. En as-tu seulement idée ? En tout cas, vos petites maisons sont bien proprettes, avec de beaux carrés de gazon et des massifs de fleurs colorées partout. Seule ombre au tableau, vous avez parfois du froid et de la pluie ! Apparemment, vos « scientifiques » n’ont pas encore trouvé le moyen de domestiquer certains éléments de la nature. L’eau de vos rivières est claire et pure… et inhabitée, car je crois que les projets de vos « scientifiques » ont été menés à bien. Ils ont d’abord pollué à outrance pour extraire le plus de « richesses » possible de cette nature  (qui pour nous est encore belle, pour l’instant). Ensuite ils ont enfoui ou détruit tous les déchets, sur de vastes secteurs de votre terre, restés arides aujourd’hui et donc interdits au public. T’imagines-tu que ton monde porte son cancer dans ses entrailles interdites ? Sans doute pas, car tout ce qui est « créé » pour votre subsistance l’est désormais de façon synthétique dans des complexes robotisés.

A part des chiens et des chats, tous en bonne santé, vous ne possédez plus aucun animal. A l’époque des épidémies, provoquées pour beaucoup par les « erreurs » de vos « scientifiques », la solution adoptée a été l’abattage et l’incinération, non sans avoir pris la précaution de sauvegarder quelques cellules susceptibles de participer à votre propre survie.

Chez vous il n’y a pas de maladie, pas de handicap d’aucune sorte, pas de maladie mentale. Tu dis que vos « scientifiques » les ont éradiqués, là aussi. Je me demande comment tu ne penses pas à t’interroger sur les méthodes employées… Pas de délinquants non plus. D’après ce que tu m’as expliqué, les dangereux potentiels sont détectés très tôt et traités de façon très efficace dès leur prime jeunesse.

Je crois que vous ne copulez plus, n’en éprouvez aucun désir, de par les régimes spéciaux qui vous sont appliqués dès votre enfance. La reproduction se fait par manipulation médicalisée, après analyse précise de vos gènes… Du moins c’est ce que tes explications emberlificotées m’ont laissé entendre.

Alors, de quoi veux-tu donc que je te parle ? 

Je vis dans un monde où l’on souffre, on aime, on partage des joies, on se bat, il y a de belles aurores, de superbes arcs-en-ciel,  des arbres, des rivières, des déserts ocres et blancs, des montagnes, des glaciers, des animaux, des forêts… et des êtres humains. Bien sûr, nous constatons des dérives, comme l’uniformisation culturelle, la pollution, l’injustice sociale, la haine, mais, vois-tu, il y a aussi chez nous des résistances, des femmes et des hommes de cœur qui luttent contre tout cela. Ce serait trop long à te raconter et je ne suis pas certain que votre censure laisse filtrer ce genre de nouvelles dans votre monde aseptisé. Je me demande d’ailleurs si l’un ou l’autre d’entre vous serait capable d’un quelconque sentiment, d’une quelconque réaction face à la description succincte de notre monde à nous.

Avant de te saluer dans l’attente d’une hypothétique réponse venue de ton « ailleurs », je t’avoue bien sincèrement que je préfère encore mon monde à moi.